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Déterminisme ou libre arbitre ?

Entretien avec un mécaniste pur et dur

Le thème:

Sa réponse à l'affirmation suivante:

"L'authenticité de notre libre arbitre : notre liberté n'est pas une illusion, nous faisons réellement des choix dans nos vies qui ne dépendent pas que du passé".

Le titre:

LIBRE ARBITRE ou DETERMINISME ?

Je vous retranscrit ici un échange d'emails avec Alessandro Pendesini (Professeur de sciences) dont les propos, typiques de ce que j'appelle le "mécanisme pur et dur", sont néanmoins fort éloquents:

Alessandro Pendesini:

Je n'ai pas la prétention d'apporter une solution à ce dilemme, ou d'impliquer des raisonnements relatifs à la mécanique quantique qui me semblent plus spéculatifs que pertinents dans ce domaine. Mais quelques réflexions, en commençant par : « existe-t-il une autre liberté que celle de nier les déterminismes » ?

Notre cerveau « décisionnel » est un élaborateur d'estimation de risque, c'est une aptitude naturelle que nous manifestons continuellement dans un état cérébral normal et de veille. Nous évaluons constamment des situations et planifions comment minimiser les pertes et maximiser les gains. Et finalement c'est l'anticipation du plaisir imaginé qui aboutit à une décision, ou refus d'une action qui n'aura pas lieu à cause du déplaisir (supposé) anticipé. Quitte à ce que l'on se trompe...

Je dirais que notre cerveau est un système « sélectionniste », et non « instructionniste » !

Pour ce qui concerne la « liberté d'indifférence » je fais bien volontiers référence à des citations :

  • « L'acte de dire non n'échappe pas aux déterminismes : c'est seulement une contre-détermination, qui donne l'illusion de liberté » (Gérard Pommier)
  • « Jamais nous ne prenons conscience du savoir nécessaire à l'accomplissement de n'importe quelle tâche, ni des étapes intermédiaires du processus. Nous n'avons conscience que du résultat » (Antonio Damasio).
  • Une décision implique une réflexion, bien sûr, mais elle porte déjà en elle, tout en intégrant les éléments du passé, l'acte sur lequel elle débouche.
  • « La perception est décision, et l'émotion en est le juge suprême » (Alain Berthoz).
  • Il nous arrive parfois de prendre des décisions en ayant l'impression de ne pas très bien savoir pourquoi ; c'est parce qu'elles résultent d'un « conflit » interne entre le cerveau rationnel (néocortex, qui relève de l'acquis) et le limbique (émotionnel et pulsionnel, qui relève de l'inné, qui ne sont pas forcément d'accord).

A ce stade est-il raisonnable affirmer que « la conscience règne mais elle ne gouverne pas » ?

Je crois qu'une des raisons du refus (quelquefois obstiné) du déterminisme, en faveur du libre choix, est due à des considérations à la fois socio-politiques, morales et religieuses, car si nous sommes déterminés à agir, en vertu de quels principes peut-on encore nous condamner ? C'est ici, à mon avis, que « le bât blesse » ! Faut-il rappeler aux plus sceptiques que d'après les expériences effectuées par les neuroscientifiques du monde entier, tout porte à croire que nous ne prenons réellement conscience de « nos décisions » que quelques millisecondes après que la vraie décision -inconsciente- ait eu lieu ?

Sans oublier qu'on peut prédire, simplement en regardant l'image du cerveau, quel mouvement s'apprête à faire la personne observée ou quelle émotion peut ressentir AVANT même qu'elle en prenne conscience ! Et pour terminer, devons-nous donner tort à Henri Laborit -et bien d'autres- quand ils affirment que le fait d'accepter le déterminisme n'aurait pas que des inconvénients, et pourrait nous conduire à raisonner autrement car l'intolérance dans tous les domaines résulte du fait que l'on croit l'autre libre d'agir comme il le fait, c'est-à-dire de la façon non conforme à nos attentes ou projets. On le croit libre de ses actes, de ses pensées, de ses jugements ; et à ce niveau de raisonnement, il me semble très difficile de ne pas éprouver des sentiments de rancour, voire de haine -qui se trouvent très souvent à la base de nombreux antagonismes sociaux, conflits et guerres- et qu'on pourrait, dans une certaine mesure, éviter...

Philippe Guillemant:

Vous venez de résumer parfaitement bien le genre de pensée que je combat. Ce que vous exprimez si bien est l'expression même du crédo déterministe. La raison pour laquelle je suis en désaccord avec vous est que la physique nous apprend aujourd'hui, de deux manières distinctes et indépendantes, que le déterminisme est une illusion:

  • La première manière nous vient de la physique quantique, c'est le problème de la réduction de la fonction d'onde dont le résultat n'est pas déterminé par le passé, ceci étant prouvé par l'expérience d'Aspect en 1982 et largement confirmé depuis.

  • La seconde manière nous vient de la physique des systèmes complexes et notamment de la théorie du chaos, généralement considérée à tort comme déterministe. En réalité, et c'est l'objet de mes travaux, pour que la physique classique soit déterministe il faudrait supposer que toutes les particules de l'univers contiennent une information infinie, permettant notamment de les localiser, ce qui déjà est en contradiction avec plusieurs lois physiques. J'aurais bien d'autres choses à rajouter, notamment concernant le fait que nous ne pouvons plus, aujourd'hui, raisonner dans un univers quadridimensionnel, mais veuillez considérer que cette réponse rapide et étoffée de ma part est déjà une marque d'appréciation toute particulière de votre éloquent message.

Alessandro:

Personnellement je combats, ou plus exactement, je milite contre toute forme d'obscurantisme ou pseudo-science, cause de mal-être du monde vivant -homme compris- tout étant conscient de mes limites....je m'en voudrais de diffuser de fausses symétries !

Les effets quantiques existent bien à l'échelle atomique mais -par exemple- à cette échelle le diamant lui-même n'existe pas au sens où nous l'entendons ordinairement puisqu'il se déforme continuellement. En d'autres mots, si nous parlons de l'objet "diamant" nul effet quantique ne peut lui être associé et si nous parlons d'effets quantiques nul objet "diamant" indéformable ne peut lui correspondre. Les formules ont donc un sens dans un domaine mais pas dans l'autre: tout est question d'échelle.

D'après les connaissances actuelles, la nature n'est pas déterministe (principe d'incertitude d'Heisenberg), il est impossible de prédire le mouvement d'une particule avec une absolue certitude car (il semble) que ce qui se produit dans l'Univers relève beaucoup du hasard...Mais... le monde atomique partage donc au moins une caractéristique avec le monde macroscopique, celle qui permet une "vision" des objets par le biais des interactions que nous avons avec eux. Mais il ne faudrait pas en déduire que ces deux mondes obéissent pour autant aux mêmes lois. Par exemple, lorsqu'on envoie des balles de pétanque à travers une plaque percée de deux fentes, cela ne donne lieu à aucun phénomène d'interférence; mais avec des atomes oui. C'est toute la différence, et personne ne contestera qu'elle est "de taille"! Sommes-nous certains que les lois de la physique sont d'un même ordre que les "lois de la nature", quand nous savons que le monde réel n'est pas assimilable au monde de la théorie? Mais aussi, pouvons-nous affirmer que la théorie possède sa propre structure, indépendante du réel; et que c'est bien la théorie qui se "réalise" et non la réalité qui se "théorise"? Ne pourrions-nous dire que c'est la décohérence qui, en voilant les effets d'interférence, protège le caractère classique du monde macroscopique dans lequel se situe l'homme ?

Je considère donc, jusqu’à preuve du contraire, vos remarques comme difficilement recevables….. Les raisons étant que malgré quelques tentatives, le formalisme quantique n’est pas apparu pertinent pour traiter de ces phénomènes que la physique classique et la chimie décrivent de façon satisfaisante ; c’est pourquoi on est en droit d’y reconnaître un hasard par ignorance.

Certains auteurs, tel Roger Penrose, pensent que des effets quantiques pourraient jouer un rôle important dans la conscience, ce qui remettrait fortement en question la thèse de Ruse (qui dit que la liberté de l’homme n’est qu’une illusion, toute sa pensée n’est qu’un jeu de mécanismes). Nous ne suivrons cependant pas cette voie car nous pensons au contraire, preuves à l’appui, que la mécanique quantique n’a rien à voir avec le problème en discussion !

Permettez-moi d'autres remarques :

  • L’impression de ne plus contrôler son propre cerveau est peut-être le sentiment le plus angoissant qui soit. Est-ce pour cette raison que notre cerveau se donne la peine de nous rassurer, en nous donnant l’impression consciente d’être à l’origine de nos actes ?

  • Entre deux actions possibles, l’animal, ou l’homme, choisit spontanément celle qui le récompense le plus -dans 100% des cas-, c’est-à-dire celle qui provoque l’activation la plus forte du circuit de récompense.

  • Comment pourrais-je être libre au sens de Descartes, de Kant et bien d’autres ?... Comment pourrais-je, au présent, vouloir autre chose que ce que je veux ou penser autre chose que ce que je pense ? La liberté suppose la négation du principe d’identité, et nie donc la possibilité d’être à un instant donné autre que ce que l’on est.

  • L’homme peut faire ce qu’il veut, mais il ne peut vouloir décider que quelque chose de conforme à la valeur qui prédomine au moment de sa prise de décision consciente. Son libre arbitre -à ce niveau- est donc pure illusion.

  • L’homme peut-être se trompe-t-il parce qu’il ignore certains faits ou parce qu’il raisonne faux, mais jamais il ne choisit délibérément une action sous optimale.

  • Lorsqu’on découvre qu’une décision a en fait été déterminée par un dérèglement hormonal, une disposition génétique, une influence sociale ou culturelle, cette idée là devient même très difficile à défendre avec la prétendue idée que nous aurions la capacité de librement décider de nos actes.

  • Anticiper n’est pas causer : l’anticipation est présente dans la représentation de l’action, elle constitue la référence à laquelle le résultat final sera comparé, mais elle ne le détermine pas. N.B. :

Pour votre information, les neurosciences actuelles ne s’intéressent d’ailleurs pas au libre arbitre en tant que tel, mais à la sensation du libre arbitre….. Les dernières découvertes du fonctionnement cérébral (neurophénoménologie) reposent non pas sur des hypothèses floues et invérifiables mais sur des déductions testables –incontestables-, conformes à la démarche et déontologie scientifique ! Et pour terminer : « Souvenez-vous que votre cerveau émotionnel n’écoute jamais votre cerveau rationnel ». Mais bien entendu « libre » à vous de croire le contraire……

Philippe:

Tout d'abord, je soulève une contrevérité lorsque vous dites: "le formalisme quantique n’est pas apparu pertinent pour traiter de ces phénomènes que la physique classique et la chimie décrivent de façon satisfaisante ; c’est pourquoi on est en droit d’y reconnaître un hasard par ignorance". C'est faux, le formalisme quantique est tout ce qu'il y a de plus pertinent, à la base de la chimie et vérifié par l'expérience et d'autre part, il est démontré qu'il ne met pas en jeu un hasard par ignorance (la théorie des variables cachées est fausse).

Cela dit, vous reconnaissez tout de même que la nature n'est pas déterministe, MAIS vous considérez que ce constat ne s'applique pas à notre échelle macroscopique, en hésitant pas à douter du fait que les mondes microscopiques (échelle atomique) et macroscopiques (échelle humaine) puissent obéir aux mêmes lois ! Ne faites surtout pas cette déclaration aux physiciens qui depuis presque un siècle s'évertuent à unifier la mécanique quantique et la relativité générale pour trouver une théorie unificatrice permettant enfin d'attribuer les mêmes lois à ces deux mondes.

Vous faites avec justesse référence à la théorie de la décohérence pour arguer en faveur de cette distinction entre ces deux mondes, mais savez vous que cette théorie présente deux écueils majeurs pour ce qui est de permettre cette séparation:

  • Le premier est que la décohérence ne résout pas le problème fondamental du choix opéré après réduction de la fonction d'onde: ce choix reste indéterministe, même lorsqu'il a lieu à l'échelle macroscopique (oui, cela arrive).

  • Le second est que l'avantage supposé de la décohérence, qui est de se passer d'observateur pour aboutir à une désintrication, ne permet pas de conclure que cette désintrication n'a pas d'effet macroscopique (voire même n'a pas lieu à l'échelle macroscopique).

Sur ce dernier point, il vous suffira de lire par exemple les derniers articles de "La recherche" ou de "Pour la science" du mois de septembre dernier sur la question "Vivons nous dans un monde quantique ?" pour découvrir que nombreuses sont aujourd'hui les expériences qui permettent de mettre en évidence des effets quantiques à l'échelle macroscopique, par exemple les travaux de Vlatko Vedral ou en France les chercheurs du CEA Saclay. Et si vous préférez la vraie littérature, lisez simplement les derniers livres de Stephen Hawking ou de Brian Greene où ils mentionnent tous deux les importantes conséquences macroscopiques (comme la non localité et la rétrocausalité apparente) de la possibilité qu'un photon puisse rester intriqué avec un autre photon extrèmement distant du premier pendant plusieurs milliards d'années.

Mais au dela de cela, à supposer que la mécanique quantique soit pour vous trop indigeste, j'ai ce qu'il vous faut pour achever de vous convaincre: l'indéterminisme macroscopique n'est pas seulement une conséquence de la mécanique quantique mais peut être tout simplement déduit de la physique classique elle-même, si l'on considère par exemple les travaux de Poincaré sur le problème à n corps (n>3), remis au goût du jour bien plus tard par Prigogine, ou tout simplement, à l'échelle beaucoup plus modeste mais non moins pertinente qui m'implique personnellement, s'agissant de mes propres travaux sur le problème du billard, qui montrent d'ores et déjà que si nous vivons dans un univers d'informations, alors cet univers est nécessairement macroscopiquement indéterministe (si vous n'aimez pas les équations, lisez simplement l'annexe de mon livre).

Partant de ce constat, toutes les judicieuses remarques que vous listez tombent à l'eau car elles sont toutes fondées sur l'idée - aujourd'hui intenable - que nos comportements conscients ou inconscients sont basés sur une mécanique interne à notre cerveau qui répudie toute idée de finalité. Or dans un monde macroscopiquement indéterministe il devient impossible de se passer d'une finalité (choisie en dehors de l'espace-temps 4D), qui plus est lorsque toutes les versions potentielles de notre futur sont déjà réalisées (rappel: futur déjà réalisé = Einstein).

Néanmoins, la question du libre arbitre reste posée, je vous le concède, et vous découvrirez par vous-mêmes dans plusieurs de mes articles sur ce site que je manque pas de dénoncer moi-même "l'illusion du libre arbitre", mais c'est justement pour inciter le rationaliste de base de cesser de se leurrer la cervelle - par conditionnement éducatif - avec un paradigme mécaniste simpliste et dépassé qui l'empèche notamment de réaliser que les valeurs humaines de l'amour et de l'authenticité, entre autres, sont infiniment plus nobles et fondamentales que de vulgaires réactions de chimie organique à l'oeuvre dans notre cerveau.

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