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La Route
du Temps est une petite route de montagne, sinueuse et interminable, qui traverse
la réserve géologique de Haute-Provence depuis la cité médiévale de Sisteron
jusqu’à la vallée de l’Asse, en passant à proximité de la ville de Digne.
En dehors de son intérêt géologique et surtout de l’époustouflante beauté
des paysages qu’elle traverse, cette route possède un intérêt très particulier,
en ce qu’il est conjecturé par les historiens qu’elle est censée mener à la
cité de Theopolis, dite encore « Cité de Dieu », cette fameuse cité
de Saint Augustin que nul n’a pourtant jamais encore découvert, malgré de
nombreuses fouilles en ces lieux : cette conjecture tient en vertu des
informations contenues dans une gravure romaine du Vème siècle,
taillée dans une roche du défilé de « Pierre Ecrite », qui constitue
en quelque sorte le « sas d’entrée » de la réserve géologique. Ce mystère
de la Route du Temps n’est que l’un des attraits parmi tant d’autres qui habitent
ses paysages enchanteurs : ses étonnants fossiles, ses roches suggestives,
ses pierres « magiques », ses yourtes cachées dans les hauteurs,
sa faune surprenante et ses énigmatiques habitants à la personnalité accentuée
par la lumière exceptionnelle des lieux, constituent autant de particularités
qui donnent un sens énigmatique à son parcours. Et ceci d’autant plus que
les rares rencontres que l’on peut y faire semblent revêtir une signification,
comme dans un jeu de rôle où chacune aurait à nous suggérer des indices pour
la suite de notre périple. Son relief
de moyenne montagne, entre cinq cent et deux mille mètres d’altitude, exceptionnel
par la grande richesse d’itinéraires de traversée de la réserve qu’il procure,
nous confronte à de multiples choix de sentiers. En randonnant dans ces lieux
j’ai constaté le pouvoir de ressourcement intérieur apporté par de telles
marches au cours desquelles on ne sait jamais exactement où l’on va ni ce
que l’on va trouver. Généralement,
en suivant l’itinéraire de plus grande pente, et après plusieurs heures de
montée, permettant enfin à l’esprit de se déconnecter de toutes ses tensions
physiques, je devenais enfin réceptif à la nature environnante. Elle prenait
alors le relais de mon corps pour apporter des réponses à mes questions intérieures,
comme une sorte d’écho du mental. Cette sensibilité nouvelle me récompensait
à elle seule de l’effort effectué pour parvenir en ces lieux, et à chaque
fois de façon inattendue. Car on oublie souvent les vertus de la randonnée,
qui dépassent largement l’acte sportif en recentrant l’esprit dans une situation
saine et libérée. Intérieurement comme extérieurement, l’altitude nous élève
et notre vision s’élargit : le sens de notre vie s’éclaircit, ou réapparaît même,
comme si notre intuition ainsi nourrie reprenait les rênes du mental. Un apprentissage
des moyens de contourner ses difficultés, intérieures comme extérieures, nous
est ainsi offert par la nature à travers la révélation d’un éventail de possibles
insoupçonné, présenté à l’ « être vivant » que nous sommes,
comme un défi à rechercher en lui-même puis à éprouver sur le terrain de l’entraînement
intuitif, l’attitude juste qu’il recherche dans son cheminement réel de vie. Bien plus
qu’altitude et visibilité, la solitude et la difficulté qui marquent la randonnée
procurent un effet de recentrage sur soi-même, anoblissant la vie intérieure
à la manière d’un itinéraire initiatique. Parmi ces difficultés, la dénivellation
récompense le mieux l’effort qu’elle sollicite. Les autres obstacles symbolisent
des problèmes éternels, des plus quotidiens jusqu’aux plus longs à franchir :
roches, épineux, forêts denses, cascades, barres rocheuses, sentiers ambigus
offrent cependant dans cette nature, pourvu qu’on les recherche, des possibilités
de contournements inespérées. Ils agissent ainsi comme autant d’invitations
à trouver de nouvelles conditions d’adaptation dans notre vie. Une leçon inattendue de
cette moyenne montagne, probablement due à sa richesse et à sa diversité:
la nature nous y apprend que tout problème contient sa solution, dès lors
qu’on est prêt à admettre son existence et à écouter sa signification, pour
ensuite contempler sereinement les autres possibilités de trajet qui s’offrent
à nous. Seraient-ce
donc les vertus de cette montagne, qui par le spectre de ses nuances ont toujours
à nous offrir la douceur de multiples compromis ? Ou la majesté des lieux
avec son profond silence, qui donne la sensation qu’un troisième œil suit
notre cheminement et s’apprête à tout moment à nous suggérer une orientation
? Dans les situations les pires comme dans les meilleures, une rencontre inattendue
s’invite parfois à la réflexion, semblant agir comme un signal qu’une étape
se termine et que nous devons en franchir une autre. Dans l’intervalle de
cette rencontre, notre programme peut changer subitement, ou prévoir une évolution
ultérieure, ou simplement intégrer une donnée utile à la prochaine bifurcation.
Car comme une sorte de confirmation que la rencontre était planifiée d’avance
par l’univers, à cette prochaine bifurcation le choix se révèlera évident,
comme si un aiguillage avait été actionné. Parfois, c’est simplement la météo
qui nous oriente ou nous contraint par encouragement ou dissuasion, simulant
nos conditions de décision selon notre humeur. Ou bien ce sont des « signes »
directement fournis par la nature, effets optiques d’ombre et de lumière ou
effets dynamiques, bruissements dus au vent ou à des passages d’animaux, qui
s’offrent à nous comme autant d’avertissements, et influencent invariablement
notre périple, sans que nous osions sérieusement nous l’avouer à nous-mêmes. Ainsi
c’est souvent le hasard des rencontres qui nous oriente sur la Route du Temps,
rencontres de pierres qui parlent [17], de phénomènes naturels ou d’êtres
vivants. Ce même hasard qui change notre vie réelle lorsque nous rencontrons
notre future compagne, notre futur employeur ou un futur ami. Mais comment
se fait-il qu’il nous faille ainsi attendre de cheminer en pleine nature pour
mieux cerner le sens caché des rencontres les plus significatives de notre
vie, celles qui donnent un autre sens au hasard ? Serait-ce parce qu’il est
plus facile de saisir les choses lorsque l’on y est impliqué d’une façon plus
détachée, plus légère ? Ayant
ainsi vécu toutes ces rencontres et aventures sur la Route du Temps comme
autant de symboles ou de signes m’ayant permis de mieux comprendre ma vie
entière tout en ressentant que j’avais franchi un stade d’évolution personnelle,
j’ai peu à peu réalisé un potentiel insoupçonné de mon libre arbitre. S’agit-il
de la transposition d’une vie quotidienne où des choix majeurs semblaient
se présenter à moi presque chaque jour ? Toujours est-il que j’ai développé
une capacité d’observation d’éléments de l’environnement n’ayant pourtant
rien à voir avec mes problèmes, mais me permettant d’atteindre un état d’éveil
favorable à leur disparition. Et parfois tout simplement, à la seule disparition
de leur aspect critique. Mais plus encore, lorsque ces éléments me semblaient
agir comme des assemblées de constituants qui parlaient d’une même voix par
le langage des coïncidences, il s’en est suivi pour moi une récolte de suggestions
utiles à la création de mon propre parcours de vie. Comme
lorsque les merveilles, autant que les obstacles de la nature, m’invitaient
à les écouter en randonnant, pour se faire le miroir de mes questions intérieures
ou l’extension même de mon être, je découvrais qu’en écoutant les événements
de ma vie réelle, au lieu de les subir comme des contraintes, de nouvelles
voies insoupçonnées s’ouvraient devant moi. Alternative pratique à des choix
rationnels mais douteux, ou exacerbation d’une intuition personnelle ?
Je ne saurais dire, mais toujours est-il que les expériences que j’en ai tirées
ensuite sont allées bien au-delà de tout ce que je pouvais espérer en terme
de bénéfice, et je comprenais alors que j’avais à partager cette chance. Cette
chance s’est tout d’abord exprimée par une accumulation de coïncidences extraordinaires,
vécues sur la Route du Temps, comme une sorte de confirmation que j’avais
emprunté le bon chemin. Elles m’ont conduit à prolonger une réflexion profonde
sur le sens du temps, que j’avais déjà entamée depuis des décennies, aboutissant
à une sensation intuitive de communion avec les éléments de l’univers, comme
si mon cerveau s’étendait bien au-delà des limites de ma personne. J’ai compris
ensuite comment cette sensation, source de bonheur et de confiance dans la
vie, pouvait provenir de bien autre chose que d’une illusion. J’ai ainsi été
amené, peu à peu, à démonter les mécanismes de choses aussi mystérieuses que
le phénomène de synchronicité* (les étoiles* renvoient au glossaire).
J’expliciterai ces mécanismes dans ce livre par une double approche de scientifique
et de philosophe sous-tendue par une logique se voulant implacable. Le lecteur
pourrait être étonné de constater que science, poésie et spiritualité peuvent
faire très bon ménage. Je ne
saurais faire l’économie de ce modèle si porteur et si naturel de la Route
du Temps afin d’expliquer les choses fondamentales de la vie qu’elle m’a permis
de comprendre, aboutissant notamment à réconcilier science et foi. La réserve
géologique va nous fournir un terrain d’expression métaphorique et symbolique
de notre environnement psychique, pour expliquer mais aussi exercer notre
potentiel intérieur, en vertu d’un ensemble de correspondances analogiques fortes
avec des propriétés du mental: non seulement l’altitude, la fréquentation
ou la difficulté de la randonnée, mais aussi la présence d’eau, l’orientation,
la température et les conditions météo, comme nous le verrons plus loin. Nous allons
dévoiler dans ce livre les mécanismes d’exercice inédits d’une liberté que
nous avons de « programmer » notre avenir, liberté qui exploite
des capacités méconnues de notre cerveau, qu’il est infiniment plus judicieux
de comprendre par ce type de métaphores* que par une approche psycho-scientifique
pré-établie. Nous montrerons
que nous avons au fond de nous-mêmes un potentiel inexploité, et notamment
une faculté d’activation immédiate de l’avenir qui correspond le mieux à nos
intentions, parmi les multiples parcours possibles de notre vie. Mais emprisonnés
dans nos conditionnements* quotidiens, nous ne savons généralement pas exploiter
ce potentiel, parce que nos décisions sont encombrées par des conceptions
erronées en tout genre - sur notre mental, sur l’idée que nous avons de nous-mêmes
- et parasitées par des déterminismes variés, notamment des habitudes. Ainsi
les innombrables choix d’itinéraires que l’on peut suivre dans la réserve
géologique nous serviront de métaphores pour modéliser, comprendre et même
expérimenter les mécanismes que nous allons dévoiler. Dans un premier temps,
pour simplifier, je résumerai ces possibilités à travers le modèle de l’« Arbre
de Vie »*. Nous verrons que la plupart du temps, dans nos vies, nous
n’expérimentons pas la richesse de nos choix potentiels, et qu’il est même
rare que nous empruntions des sentiers, car nous sommes assaillis d’idées
reçues, de pensées uniques et de conditionnements en tout genre : nous
suivons généralement la route goudronnée, ce « tronc principal »
de notre vie. Dans cet
essai sur le temps, je serai amené à introduire de façon tout à fait rationnelle,
mais au prix d’une première partie rendue escarpée par des concepts inédits
aboutissant à la logique non causale, le mécanisme incroyablement méconnu
d’une véritable « magie de la vie », en proposant une nouvelle Théorie
du Temps, dite « Théorie de la Double Causalité* ». Cette théorie
sera ensuite mise en pratique et confrontée à l’expérience, la Route du Temps
étant choisie non seulement comme terrain de simulation métaphorique mais
aussi d’expérimentations réelles. Je ne
ferai nullement appel à des références ésotériques, mais à la logique pure
et aux plus récents progrès de la science, en particulier de la physique moderne.
Car la
Théorie de la Double Causalité est avant tout une théorie scientifique, que
nous allons construire à la lumière des résultats les plus curieux de la Théorie
de la Relativité*, de la Physique Statistique*, de la Théorie du Chaos*, de
la Mécanique Quantique* et de la Théorie des Cordes*. Chacune
de ces singulières branches de la physique nous apportera son propre éclairage
sur le temps, fondé sur les principes de l’irréversibilité*, de la causalité*
ou du déterminisme*, dont les portées philosophiques sont essentielles pour
permettre à l’homme de trouver sa place dans l’univers. Et de ce point de
vue, il faut reconnaître que ces principes ont toujours joué un rôle réducteur,
allant jusqu’à nier l’existence de notre libre arbitre*. Or, l’authenticité
de notre libre arbitre est l’hypothèse la plus fondamentale de la Théorie
de la Double Causalité, à laquelle nous ajoutons une seconde hypothèse non
moins fondamentale, selon laquelle l’univers est déjà réalisé. Ce qui
soulève immédiatement cette question : comment rester libre de nos actes
dans un univers où notre futur serait déjà réalisé ? La réponse
sur laquelle repose la Théorie de la Double Causalité est celle de « l’Arbre
de Vie »* : notre futur serait déjà réalisé selon de multiples versions
ou branches, coexistant simultanément de façon omniprésente, mais à l’état
de « potentiels* » non encore vécus. Forts
de ces deux hypothèses fondamentales qui se résument dans cette conséquence
incontournable, nous allons montrer dans ce livre que le temps a des vertus
que l’on peut sans mentir qualifier de « magiques ». Cette
référence à la « magie* » que j’emploie pour parler de « mécanismes »
du temps a de quoi surprendre, mais compte tenu de ses propriétés extraordinaires,
elle est on ne peut mieux choisie pour qualifier le potentiel merveilleux
de notre aventure de vie, telle que l’univers nous invite à la vivre, si nous
voulons bien élever notre sensibilité et notre mental au niveau de ses lois
subtiles, et consentir à devenir alors les magiciens de notre propre vie. |